Pourquoi une norme d’exercice sur l’administration sécuritaire des médicaments?
Une norme d’exercice a pour objectif de fournir les principes, les règles et les exigences minimales balisant l’exercice d’une activité professionnelle à risque de préjudice. L’administration sécuritaire des médicaments, par les infirmières et infirmiers, constitue une activité cruciale qui allie des activités réservées touchant l’évaluation, la surveillance ainsi que le suivi. Ces activités requièrent des compétences, des connaissances scientifiques et un savoir-agir complexe nécessitant l’exercice du jugement clinique infirmier. L’administration des médicaments est donc jugée à risque de préjudice pour la population québécoise.
Première norme d’exercice publiée par l’OIIQ, cette norme vient préciser les responsabilités des infirmières et infirmiers en respect de leurs obligations déontologiques, et ce, peu importe le milieu de soins où ils exercent. Elle leur offre l’opportunité d’adopter une pratique réflexive et de valider la sécurité de leurs interventions de façon préventive. Complétant ce qui est appris dans les établissements d’enseignement et appliqué dans les milieux de soins, cette norme permet d’uniformiser l’exercice d’une activité professionnelle et d’en assurer la qualité.
10 principes
La norme d’exercice portant sur l’administration sécuritaire des médicaments est composée de 10 principes regroupés sous trois volets, soit : l’évaluation clinique, l’intervention clinique et la continuité des soins.
Évaluation clinique
Principe 1 : Évaluation de la condition clinique du client
L’infirmière et l’infirmier doivent évaluer, tout au long du processus d’administration du médicament, la condition clinique afin d’anticiper et de reconnaître les changements de l’état clinique du client.
Règles :
1.1 Posséder un portrait clinique du client avant d’administrer le médicament.
Connaître les diagnostics et antécédents pertinents du client en lien avec le médicament à donner, et vérifier ses allergies et intolérances avant de l’administrer.
1.2 Tenir compte des données objectives pertinentes ou requises avant d’administrer le médicament, en considérant la condition évolutive du client (ex. : signes vitaux, diurèse, poids, taille, résultats de laboratoire).
1.3 Identifier les obstacles possibles à la prise du médicament (ex. : difficulté à avaler, problème visuel, tremblements, trouble cognitif) afin de mettre en place les conditions d’administration les plus appropriées.
1.4 Identifier chez le client les risques d’effets indésirables associés au médicament et les considérations cliniques spécifiques pour certaines clientèles (ex. : femmes enceintes ou allaitantes, enfants, personnes âgées, immunosupprimés, insuffisance hépatique, insuffisance rénale, polymédication, clientèle avec un trouble de santé mentale) dans le but d’ajuster ses interventions ou de prendre les mesures nécessaires pour prévenir ou diminuer ces risques (ex. : surveiller plus étroitement une personne obèse avec apnée du sommeil à qui il est prescrit un opiacé pour la première fois en raison du risque accru de dépression respiratoire).
Principe 2 : Vérification de l’ordonnance (1 de 2)
L’infirmière et l’infirmier doivent prendre connaissance du médicament à administrer à partir de l’ordonnance originale la plus récente ou d’une source ayant fait l’objet d’un traitement par un pharmacien. Sinon, ils doivent effectuer les vérifications nécessaires pour s’assurer de la validité de l’ordonnance.
Règles :
2.1 Identifier la source d’ordonnance à utiliser dans son milieu de soins et s’y référer (ex. : ordonnance originale, étiquette émise par le pharmacien, formulaire d’administration des médicaments).
2.2 Démontrer une vigilance accrue lors des moments de transition qui sont propices à des modifications d’ordonnances (ex. : à l’admission, au changement de condition du client ou de sa médication, lors d’un transfert, au congé) afin de s’assurer que le médicament à administrer est conforme à l’ordonnance la plus récente.
2.3 Faire preuve d’une vigilance accrue lors de la transcription inévitable d’une ordonnance et en cas de prise de connaissance d’une ordonnance transcrite.
2.4 Valider tout doute quant à la validité d’une ordonnance (ex. : ordonnance à jour, prescripteur habilité) auprès du prescripteur ou du pharmacien.
Principe 3 : Vérification de l’ordonnance (2 de 2)
L’infirmière et l’infirmier doivent s’assurer que l’ordonnance est complète, claire et appropriée pour le client. Ils clarifient toute ambiguïté auprès du prescripteur ou lui transmettent toute préoccupation.
Règles :
3.1 Contacter le prescripteur lorsque l’ordonnance est incomplète.
3.2 Connaître les abréviations, les acronymes et les symboles reconnus dans son milieu de soins et clarifier auprès du prescripteur toute ambiguïté liée à la lisibilité de l’ordonnance (ex. : abréviations, lettres, chiffres).
3.3 Valider auprès du prescripteur toute préoccupation quant à la pertinence du médicament en lien avec :
- la condition clinique du client (ex. : qui présente une difficulté à avaler);
- l’indication et l’intention thérapeutiques;
- les meilleures pratiques (ex. : dosage sanguin requis avant l’administration d’un médicament, doses usuelles).
3.4 Identifier les risques associés à la multiplicité des médicaments pour diverses indications ou un même problème de santé (y compris les médicaments prescrits, les médicaments accessibles sans ordonnance, les produits de santé naturels) en vue de les communiquer au prescripteur.
3.5 S’assurer, en présence d’une ordonnance verbale, de prendre les moyens pour bien comprendre les directives du prescripteur (ex. : faire répéter l’ordonnance obtenue par téléphone) et en consigner par écrit tous les éléments.
Principe 4 : Connaissance du médicament
L’infirmière et l’infirmier doivent s’assurer d’avoir une connaissance suffisante du médicament, notamment ceux identifiés comme étant à risque dans leur milieu de soins.
Règles :
4.1 Posséder suffisamment de connaissances sur le médicament pour pouvoir l’administrer, notamment:
- la classe du médicament;
- le mécanisme et le pic d’action;
- les effets thérapeutiques recherchés;
- les principaux effets indésirables;
- les conditions d’administration;
- la posologie usuelle selon le type de clientèle;
- les contre-indications;
- les interactions médicamenteuses et alimentaires;
- les éléments de surveillance clinique.
4.2 Connaître les médicaments identifiés à risque dans son milieu de soins, les précautions nécessaires à leur utilisation et les protocoles associés, le cas échéant.
4.3 Mettre à niveau ses connaissances régulièrement en utilisant des sources d’informations scientifiques appropriées, fiables et à jour.
Principe 5 : Surveillance clinique
L’infirmière et l’infirmier doivent déterminer, planifier et assurer la surveillance clinique de l’état de santé du client à qui ils administrent un médicament. Ils ajustent la surveillance au besoin.
Règles :
5.1 Déterminer la surveillance requise selon le médicament à administrer, les réactions potentielles du client, ses données cliniques, ses facteurs de risque (ex. : âge, obésité ou faible poids) et ses antécédents de santé.
5.2 Évaluer les effets attendus et surveiller s’il y a présence d’effets indésirables ou des signes de toxicité.
5.3 Ajuster la surveillance en considérant les réactions du client, ses questions et ses préoccupations quant aux effets obtenus à la suite de l’administration d’un médicament.
5.4 Prendre les décisions cliniques dans un délai raisonnable, en fonction de l’urgence de la situation, lorsque la condition du client le requiert ou le diriger vers un autre professionnel habilité à intervenir.
Intervention clinique
Principe 6 : Enseignement, partenariat et consentement
L’infirmière et l’infirmier doivent transmettre les informations pertinentes au client tout au long du processus d’administration du médicament, puis s’assurer de son implication et de sa compréhension.
Règles :
6.1 Considérer le client comme un partenaire central et essentiel en vérifiant ses besoins, dans le but de répondre aux objectifs thérapeutiques visés et de prévenir les erreurs de médicaments.
6.2 Transmettre au client des informations précises et adaptées à sa condition.
S’assurer de sa compréhension et de sa collaboration, notamment afin de prévenir les accidents liés à la médication.
Utiliser les outils pertinents pour faciliter la transmission des informations (ex. : documentation à remettre).
6.3 Identifier avec le client et ses proches les facteurs pouvant entraver l’observance au traitement et en rechercher les raisons (ex. : besoins, préférences, valeurs, croyances, peurs, manque d’intérêt, état mental du client).
6.4 S’assurer que le client consent à recevoir le médicament et en comprend les effets attendus de même que les principaux effets indésirables possibles. En cas de refus, s’assurer qu’il comprend les répercussions possibles de sa décision.
Respecter son choix, assurer le suivi et aviser le prescripteur lorsque requis.
Principe 7 : Respect de l’ordonnance
L’infirmière et l’infirmier doivent administrer le médicament en respectant tous les éléments précisés dans l’ordonnance.
Règles :
7.1 Administrer le médicament en conformité avec l’ordonnance quant :
- au client;
- au médicament;
- à la dose;
- à la voie d’administration;
- à l’heure ou à l’intervalle de temps (ex. : l’infirmière ou l’infirmier doit administrer le PRN en respectant l’intervalle prescrit);
- aux indications et aux autres précisions, le cas échéant, contenues dans l’ordonnance (ex. : ne pas administrer si le pouls est inférieur à 60 battements/minute).
7.2 S’abstenir d’administrer le médicament et communiquer les constats de son évaluation au prescripteur lorsqu’il y a des risques pour le client.
Principe 8 : Préparation et administration
L’infirmière et l’infirmier doivent préparer et administrer le médicament selon les normes de pratique et les principes scientifiques généralement reconnus.
Règles :
8.1 S’assurer d’avoir un environnement permettant l’administration d’un médicament dans des conditions sécuritaires, y compris les professionnels requis, le matériel d’urgence ainsi que les médicaments indiqués lors de situations à risque.
8.2 Identifier les facteurs intrinsèques (ex. : attention, fatigue, faible connaissance du médicament) et extrinsèques (ex. : interruptions, bruit) qui pourraient mener à un incident ou à un accident et prendre les moyens raisonnables afin de prévenir les risques potentiels.
8.3 Vérifier l’intégrité du médicament, en tenant compte des facteurs pouvant l’altérer (ex. : asepsie lors de la préparation, date de péremption, reconstitution, écrasage, humidité, photosensibilité, chaîne de froid, exposition à la chaleur). Tenir compte des normes en vigueur pour maintenir la stabilité et l’intégrité du médicament.
8.4 Préparer le médicament le plus près possible du moment de l’administration.
8.5 Administrer le médicament préparé par l’infirmière ou l’infirmier même. Sinon, lorsque la préparation nécessite d’être réalisée par un tiers (ex. : sac de soluté préparé par une compagnie, antibiotique intraveineux préparé par une technicienne en pharmacie), s’assurer qu’il est bien identifié avant de l’administrer. Dans le cas contraire, veiller à obtenir ou à préparer une nouvelle dose.
Information complémentaire
Dans des situations d’urgence ou exceptionnelles (ex. : réanimation cardiorespiratoire), l’infirmière ou l’infirmier peut administrer un médicament préparé par une autre personne. Dans ces situations, les deux intervenants doivent documenter leurs actions respectives (ex.: préparateur et administrateur).
8.6 Préparer et administrer le médicament en conformité avec les méthodes de soins à jour et les pratiques reconnues. Intégrer dans sa pratique les principes, standards et recommandations en prévention et contrôle des infections.
8.7 Utiliser de façon conforme le matériel approprié (ex. : filtre, pompes, stylo injecteur, inhalateurs) et les technologies lorsqu’elles sont disponibles (ex. : système de distribution automatisé).
8.8 Disposer du matériel de soin, des liquides biologiques à risque de contamination et des médicaments de façon sécuritaire (ex. : timbre analgésique, chimiothérapie).
Continuité des soins
Principe 9 : Communication
L’infirmière et l’infirmier doivent assurer la communication de l’information pertinente tout au long du processus d’administration du médicament.
Règles :
9.1 Transmettre au client les renseignements pertinents en lien avec tout changement lié à sa thérapie médicamenteuse.
9.2 Communiquer aux professionnels et intervenants concernés les renseignements pertinents à la continuité des soins (ex. : dernière dose, changement de médication, surveillance requise) en utilisant les outils et les canaux de communication appropriés.
9.3 Agir promptement lors de la découverte d’un incident ou d’un accident ayant un lien avec la médication.
L’article 12 du Code de déontologie des infirmières et infirmiers précise :
L’infirmière ou l’infirmier doit dénoncer tout incident ou accident qui résulte de son intervention ou de son omission.
L’infirmière ou l’infirmier ne doit pas tenter de dissimuler un tel incident ou accident.
Lorsqu’un tel incident ou accident a ou peut avoir des conséquences sur la santé du client, l’infirmière ou l’infirmier doit prendre sans délai les moyens nécessaires pour le corriger, l’atténuer ou pallier les conséquences de cet incident ou accident.
Principe 10 : Documentation
L’infirmière et l’infirmier doivent consigner les renseignements pertinents liés au processus d’administration du médicament dans les outils de documentation prévus à cet effet.
Règles :
10.1 Inscrire les données sur l’administration du médicament le plus tôt possible après son administration.
10.2 Documenter les renseignements pertinents entourant, le cas échéant :
- le processus d’administration (ex. : vérifications faites auprès du pharmacien, refus de la médication, raison d’administration d’un PRN);
- les interventions auprès du client (ex. : enseignement, administration);
- l’évaluation et la surveillance (ex. : effets attendus, effets indésirables);
- le suivi clinique effectué (ex. : communication avec le prescripteur, élaboration et mise à jour du plan de soins, élaboration et ajustement du PTI).
Participant à diverses étapes du processus entourant l’administration des médicaments, les infirmières et infirmiers y occupent une place privilégiée. Ils jouent un rôle déterminant dans la prévention des incidents et des accidents impliquant la clientèle, notamment par l’évaluation de la condition clinique du client – qui doit être réalisée tout au long du processus –, par la surveillance clinique de même que par leur rôle fréquent dans la coordination des soins entourant l’administration des médicaments.
Les infirmières et infirmiers ont donc la responsabilité de respecter cette norme en tout temps et de mettre en place les mesures appropriées afin de favoriser la sécurité de la clientèle, tout au long du processus entourant l’administration d’un médicament, en collaboration avec le client, ses proches et les autres professionnels de la santé impliqués.
Document de référence